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Santé & Prévention

« Penser à soi-même pour bien soigner les autres »

Originaire du Finistère, « au bout du bout de la Bretagne », Killian L’helgouarc’h à la ténacité de ses origines qu’il met aujourd’hui au service de l’InterSyndicale Nationale des Internes (ISNI) dont il assure la présidence depuis septembre dernier, en parallèle de la fin de son internat à Béziers. Logement, temps de travail, santé mentale : c’est le programme de son mandat qu’il exprime d’une voix aussi tranquille qu’assurée afin d’améliorer les conditions de travail et de vie des internes…

Quelques chiffres issus de l’Enquête nationale santé mentale (ISNI, ISNAR-IMG et ANEMF, 2024), sur 8 307 réponses en ligne (internes & externes) :

  • 52% des répondants souffrent de symptômes anxieux et 66 % se sentent en état de burn-out.
  • 21 % ont affirmé avoir eu des pensées suicidaires pendant l’année ; 19% ont déclaré consommer ou avoir déjà consommé des « anxiolytiques ».
  • 24 % ont des symptômes de troubles du comportement alimentaire et 16 % ont exprimé avoir une consommation excessive d’alcool.
  • 14% des répondants ont affirmé avoir subi « des humiliations répétées » au cours de leur cursus.
  • 26% des internes, 19% des externes et 8% des étudiants de préclinique ont été victimes de propos ou attitudes à caractère sexuel les mettant mal à l’aise ; plus de 500 agressions sexuelles ont été rapportées dans le cadre de l’enquête.
  • 10% des répondants déclarent penser quotidiennement à arrêter la médecine.

Pour en savoir plus : isni.fr

Pouvez-vous nous raconter votre parcours en médecine et votre engagement syndical ?

J’ai fait mon externat à Brest et je suis à présent interne, en médecine générale à la faculté de Montpellier Nîmes. Je me suis toujours engagé dans le cadre de mes études, dès le collège où j’étais délégué de classe et jusqu’à la fac de médecine. Cela a commencé avec le Tutorat à Brest car c’était important pour moi de redonner d’une certaine manière le temps et l’accompagnement dont j’ai bénéficié à l’entrée à l’université. A Brest, le tutorat en médecine, c’est une vraie « institution » : tout le monde le fait et le dispositif est entièrement géré par les étudiants avec juste un appui pour l’administratif. Je suis donc devenu tuteur dès la deuxième année et je me suis lancé, dès l’année suivante, dans la gestion du tutorat en lui-même. Ça a été une expérience extrêmement enrichissante. On a fait avancer les choses pour les premières années. On a mis en place un service de cours gratuits et une plateforme pour les QCM afin que tous les étudiants puissent s’entraîner sans passer par une prépa privée. Du haut de mes vingt ans, à l’époque, c’était une belle première expérience de management et de gestion des problèmes au quotidien. A la suite, j’ai pris des engagements au niveau national, comme trésorier de l’ANEMF (Association Nationale des Étudiants en Médecine de France) et au sein du Conseil d’Administration de mon Université. Quand je suis parti à Montpellier pour mon internat, j’ai tout de suite rencontré le syndicat local dans lequel j’ai pris des responsabilités, jusqu’à en exercer la Présidence. J’ai alors décidé de candidater à la tête de l’ISNI et j’ai été élu, avant l’été.

Comment voyez-vous ce nouveau rôle et quels sont vos chantiers prioritaires ?

A l’ISNI, on a un mandat très court (un an) alors que nos interlocuteurs restent plus longtemps à l’exception, ces temps ci, des ministres ! Cela implique, de façon générale, d’inscrire son action dans une certaine continuité en poursuivant le travail sur des dossiers de fonds qui se construisent dans la durée. Ce n’est pas la première fois que l’ISNI choisit un interne en médecine générale, mais c’est un très bon signal dans le contexte de la réforme de la quatrième année d’études de Médecine générale.

Par ailleurs, l’ISNI se mobilise également fortement sur la question du logement des internes. Certains internats sont vraiment en état d’insalubrité, comme celui de Clermont-Ferrand qui est dans une situation catastrophique : dégâts des eaux, prises électriques hors normes, présence de nuisibles, etc. Certains étages sont même condamnés car ils ne sont plus habitables.

« Au-delà des cas extrêmes, le logement des internes est un enjeu d’attractivité globale pour les carrières médicales et pour les territoires ».

Il est primordial de pouvoir bien accueillir les internes, sur leur lieu de stage, afin qu’ils aient de bonnes conditions de vie et de travail. Un bon cadre de vie pourra aussi leur donner envie de revenir sur tel ou tel territoire, en tant que remplaçant, voire de s’y installer… C’est donc un véritable enjeu au-delà de la nécessité d’offrir à minima un logement décent à chacun !

Parmi les autres préoccupations majeures de l’ISNI, il y a bien sûr le sujet de la santé mentale des internes. Il y a quelques semaines, nous avons publié les résultats de notre nouvelle enquête nationale, en partenariat avec l’ANEMF et ISNAR-IMG, qui montre que la situation ne s’améliore pas, alors que nous sommes sortis de la crise sanitaire. Nous allons donc mettre les bouchées doubles sur ce sujet, en travaillant notamment sur les enjeux de la prévention, dès le début des études et même avant. Il paraît nécessaire d’ancrer cet enjeu de prévention dans tout le processus de formation afin de mieux détecter les premiers signes de détresse psychologique.

« On vit toujours avec cette idée que les médecins ne sont jamais malades, alors que c’est justement une population sujette aux risques de souffrance, de dépression voire d’idées suicidaires. Il faut la combattre et faire de la prévention, à tous les étages… »

Quels sont les grands enseignements de cette étude ?

La chronologie de l’étude est d’abord importante pour voir comment les choses ont évolué, trois ans après la précédente édition, réalisée en pleine pandémie. On aurait pu penser que la situation se serait améliorée depuis, mais cela n’est pas le cas, même si elle ne semble pas s’aggraver pour autant. Quoi qu’il en soit, on constate autant de syndromes anxieux en 2024 par rapport à 2021, ce qui n’est pas forcément étonnant quand on voit le nombre de réformes systémiques qui s’enchaînent, souvent dans la précipitation, et créent de l’incertitude voire de l’angoisse pour les étudiants.

« L’autre donnée qui m’interpelle, c’est la forte proportion d’étudiants ou d’internes qui a déjà envisagé d’arrêter : seulement 3 répondants sur 10 déclarent n’y avoir  jamais pensé ! Tout le monde sait que la formation en médecine est très difficile, mais pas au point de se demander si on est en capacité de poursuivre, alors qu’on a un cruel besoin de médecins sur l’ensemble du territoire ! « 

C’est un vrai souci qu’il faut absolument appréhender pour ne pas risquer d’en perdre davantage car, en cas d’abandon, tout le monde est perdant…

Quelles sont les solutions proposées par l’ISNI ?

La question de la santé mentale est très large car elle recouvre de nombreux domaines, souvent interdépendants. Pour faire le lien avec le logement, par exemple, une situation d’inconfort voire d’insalubrité risque d’accentuer une fragilité lorsqu’on rentre de 12 heures de travail mais qu’on ne peut pas se reposer convenablement en raison d’un dégât des eaux qui nécessite de faire des démarches plutôt que de dormir ! Le temps de travail des internes est aussi un facteur aggravant et un combat, sans relâche, de l’ISNI. Nous sommes en procès contre tous les CHU de France et en médiation avec un tiers d’entre eux pour essayer de trouver une solution permettant de décompter véritablement le temps de travail. Cet enjeu de décompte est une question épineuse avec les hôpitaux car c’est une nouvelle philosophie et un nouveau paradigme à prendre en compte dans l’organisation du travail. Elle pose pas mal de questions sur la continuité des soins et le suivi des patients lorsque les internes sont absents. Cela étant, ce décompte est indispensable si on veut pouvoir respecter le temps de travail hebdomadaire maximal de 48 heures, qui est déjà largement au-dessus de la durée légale en France. Il faut réussir à évaluer ce temps précisément pour essayer de comprendre pourquoi il est dépassé et trouver les solutions adéquates, le cas échéant, pour le diminuer. On sait par ailleurs que cela est possible : il y a des services ou des établissements qui respectent le temps de travail ainsi que les deux demi-journées hebdomadaires de formation prévues pour les internes dans le cadre de leur cursus.

Concrètement, à côté des actions judiciaires et des démarches de médiation autour du décompte, l’ISNI réalise un recensement des services qui respectent le temps de travail des internes et leur permet de continuer à se former dans de bonnes conditions. Il sera publié dans le courant de l’année avec l’objectif d’identifier les leviers, comme les freins à surmonter, pour y arriver, même dans les services où le temps est plus compliqué à gérer, comme en chirurgie.

Pour finir sur la santé mentale, l’enjeu collectif consiste également à lever l’omerta sur le sujet et sur la souffrance à l’hôpital, mais j’ai l’impression qu’on commence à en prendre le chemin.

« Il faut poursuivre dans cette voie, continuer à expliquer que la fragilité psychologique peut aussi faire partie de l’exercice de la médecine et que les internes, comme les praticiens, ne sont pas invincibles, loin de là ».

Il faut faire de la prévention, les sensibiliser sur leur propre suivi médical et faire de la pédagogie, à tous les niveaux. On cherche par exemple à trouver des moyens pour que les cheffes de services, qui encadrent les internes, soient mieux formés sur l’ensemble des facteurs de risques (temps de travail, harcèlement, violences sexistes ou sexuelles, etc.). En tant que responsables d’internes et de services tout entier, l’enjeu est qu’ils puissent détecter les problèmes en amont, plus facilement et plus rapidement, avant d’en arriver à des situations irréparables…

Parmi les préconisations de l’ISNI, il y a le développement des « échanges entre pairs, sur le modèle de l’internat de médecine générale. » En quoi cela consiste ?

Ce dispositif a effectivement été mis en place en médecine générale pour organiser des réunions régulières entre les internes, supervisées par un maître de stage universitaire. L’idée, c’est que chaque interne puisse se livrer davantage sur une situation qui lui a posé problème au cours de sa formation. La démarche a plusieurs avantages : pour l’interne concerné, elle peut avoir un effet cathartique en revenant sur un épisode personnel difficile ; et au contact des autres, elle permet d’échanger et de se donner des conseils, tout en montrant qu’on n’est pas seuls face à une situation que les collègues ont surement déjà rencontré… Ces échanges permettent donc de communiquer sur les pratiques cliniques, mais aussi sur la gestion en tant que telle d’un problème.

« Pour moi, la prévention en santé mentale, c’est aussi et souvent une affaire de communication, lorsqu’un interne, par exemple, n’a pas voulu ou n’a pas pu exprimer une difficulté auprès de ses supérieurs. A la place, il peut penser qu’il n’est pas bon, voire douter de ses propres capacités au travail, alors que le problème aurait pu être désamorcé rapidement, simplement en débriefant et en le rassurant si besoin.« 

Donc, oui, je pense que c’est un bon système de favoriser les échanges entre les internes et de développer ce type de démarches. C’est important de rappeler qu’un interne peut se tromper et que c’est même tout à fait logique : nous sommes des professionnels en formation, nous sommes là pour apprendre, mais ce message est encore plus efficace quand on peut le relayer à plusieurs et en échangeant avec ses propres collègues…

Malgré l’instabilité gouvernementale, le Ministère de la Santé est à nouveau dirigé par un praticien. Est-ce que cela vous semble positif pour faire avancer ces sujets ?

Effectivement, Dr Yannick Neuder est cardiologue au CHU de Grenoble et a toujours continué à exercer à côté de sa carrière politique. C’est toujours apprécié d’avoir un ministre médecin. On a le même logiciel, on a fait les mêmes études, donc c’est toujours plus facile d’échanger sur l’ensemble de ces sujets qu’il connaît de l’intérieur. D’ailleurs, à l’ISNI, on avait déjà eu l’occasion d’échanger avec lui avant qu’il soit nommé, notamment sur le temps de travail ou les cas de départs à l’étranger. Au-delà de son profil, j’espère surtout qu’il sera en poste le plus longtemps possible afin qu’on puisse discuter et avancer dans la durée. C’est ce qui est compliqué, actuellement : six ministres se sont succédé depuis moins de deux ans et, à chaque changement, on perd beaucoup de temps pour se rencontrer, se présenter et se replonger dans les dossiers, sans garantie de pouvoir aboutir à des avancées concrètes en raison de l’instabilité politique.

Avez-vous un message « de santé » à faire passer en direction des internes pour 2025 ?

« Penser à soi-même pour bien soigner les autres.«