En 2023, un groupe d’amis, lié de près ou de loin au secteur de la santé, lance La Fabrique des Soignants, un nouveau média issu de la convergence de leurs parcours. Ce projet innovant vise à créer des espaces de dialogue intergénérationnels et interprofessionnels sur le soin et le système de santé. Au lendemain de la première « Nuit des jeunes en santé », organisée le 28 février et diffusée en live sur sur Twitch, Youtube et LinkedIn Live. Emylie Lentzner et Kendrys Legenty, cofondateurs de la Fabrique, nous racontent leur projet…
« La Fabrique vise d’abord à créer des espaces de parole intergénérationnels et interprofessionnels, afin de réintroduire du lien entre les soignants, notamment en direction des étudiants souvent exposés à de véritables épisodes de souffrance. »
Emylie Lentzner
Pouvez-vous nous parler de vos parcours respectifs ?
Emylie Lentzner :
Je suis interne de psychiatre à Paris et j’effectue actuellement un stage au sein de la délégation santé mentale du Ministère. L’objectif est de mieux comprendre le fonctionnement des institutions et d’acquérir une vision plus étendue de notre rôle, en tant que soignant, dans cet écosystème. Avec Kendrys, nous avons d’abord crée le média étudiant « Derrière la blouse » avec l’idée d’ouvrir les études de santé sur le monde, et réciproquement. Puis nous avons lancé le podcast « Transmission » pendant le Covid, dans le but de donner la parole à notre génération de jeunes soignants.
Kendrys Legenty :
J’ai entamé des études de médecine, puis j’ai suivi le double cursus médecine/humanité de l’ENS PSL, avant de m’orienter finalement vers un master en cinéma à la Sorbonne. Depuis plusieurs années, j’essaie de tisser des liens entre l’audiovisuel et la santé en participant à la réalisation et à la production de films, fictions et documentaires. En parallèle, j’ai également une expérience personnelle de patient chronique et d’aidant. J’ai donc une vision triple de la santé : celle du professionnel, celle de la personne ayant eu un proche malade et de la personne concernée par la maladie…
Quelle est la genèse de La Fabrique ?
Emylie Lentzner :
La Fabrique des soignants (Fabs), c’est avant tout un projet entre amis. Nous partagions tous un même sentiment – que nous appelions le « consensus de la morosité », et qui reposait en quelque sorte sur une interrogation très concrète et partagée : pourquoi étions-nous tous et toutes lassés de l’internat alors que nous venions tout juste de commencer ? Cette réflexion a émergé de la déception, voire de la souffrance, que nous avons tous ressenti durant nos expériences. Nous avons eu cette discussion initiale, un soir de janvier (2023), puis nous avons décidé d’agir en créant La Fabrique et le premier format de grandes émissions sur Twitch. Aujourd’hui, c’est une association reconnue d’Intérêt général qui regroupe une vingtaine d’adhérents bénévoles…
Dès l’origine de la Fabrique, nous avions deux priorités. La première vise à créer des espaces de parole intergénérationnels et interprofessionnels, afin de réintroduire du lien entre les soignants, notamment en direction des étudiants souvent exposés à de véritables épisodes de souffrance.
Le deuxième enjeu consister à mener des réflexions collectives et à ouvrir des débats, de façon collective, car derrière le terme « soignant », il y a tout un écosystème d’acteurs : les professionnels de santé, les étudiants, les administrateurs, les chercheurs et bien d’autres. Tous doivent pouvoir se parler, même à une petite échelle, pour faire avancer les choses ! Pour ce faire, nous avons ainsi démarré un cycle d’émissions et d’interviews avec le soutien de plusieurs partenaires. Nous nous situons en effet à l’interface des soignants de terrain, dont nous faisons partie, et des institutions, qui orientent les décisions mais ne savent pas toujours comment procéder…
Comment avez-vous assuré la production et le financement des émissions de l’Acte 1 ? Et quelles seront les nouveautés de l’Acte 2 qui démarre avec la « Nuit des jeunes en santé » ?
Kendrys Legenty :
En termes de production et de réalisation, nous avons toujours eu l’ambition de faire quelque chose de qualitatif et d’abouti, visuellement, pour montrer que l’information et l’échange sur la santé méritent aussi d’être soignés. Cela a bien sûr un coût qui nous a conduit à chercher des partenaires. Différentes typologies d’acteurs nous ont soutenus dès la première saison : l’APHP, la Fédération Hospitalière de France, la Direction Générale de l’Offre des Soins au sein du Ministère de la Santé, le CROUS, plusieurs universités ou des start-ups, etc. Ce sont ces engagements qui nous ont permis de produire 3 émissions et de mettre en avant des profils de soignants inspirants.
Nous suivons la même démarche pour la saison 2, avec plusieurs émissions en projet :
- « La nuit des jeunes en santé », un live de plus de 2 heures rassemblant des étudiants de toutes les filières pour aborder, ensemble, différentes thématiques au cœur de leur préoccupation : l’orientation, les carrières, l’engagement des soignants, la santé des jeunes
- Une émission sur les violences sexuelles et sexistes (VSS) en contexte de soin
- Une émission sur la santé environnementale dans le contexte du « One health » (une seule santé)
- Une émission abordant la dualité d’être patient et soignant
- Et, éventuellement, une émission sur la question du handicap et de l’accessibilité à l’occasion des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris.
Nous allons également lancer un format bimensuel d’une heure, intitulé « ApéroTopo ». Cette émission permettra à une personne inspirante de présenter une initiative ou une innovation, suivie d’une discussion avec l’animateur de la Fabrique et le Chat. Enfin nous souhaitons réaliser un format documentaire. Actuellement, nous travaillons sur La Creuse, diagonale des possibles, dans lequel nous évoquons la désertification médicale et les changements démographiques. L’objectif est de montrer la diversité des territoires et les différentes initiatives qui s’y sont engagées pour remédier à la pénurie de l’offre de soins…
Quelle est votre perception de la souffrance au travail dans l’univers du soin ? En tant que professionnels de santé et témoins, pensez-vous que la situation s’aggrave et/ou que la parole se libère ?
Emylie Lentzner :
La souffrance au travail est une réalité complexe, présente à différents niveaux. Il y a un changement générationnel qui concerne l’ensemble de la société et se traduit notamment par la nécessité croissante de donner du sens à son activité et à ses actions, quelles qu’elles soient. Mais dans le monde hospitalier, en particulier, l’évolution des pratiques ne semble pas aller dans la même direction, ce qui peut générer du mal-être voire de la souffrance, en raison du décalage avec ces nouvelles aspirations et préoccupations personnelles : charges administratives de plus en plus lourdes pour les soignants, horaires de travail étendus, pénurie de personnel etc. Les médecins ont aussi du mal à reconnaître et admettre leurs propres vulnérabilités, ce qui crée un défi supplémentaire pour aborder concrètement ces sujets.
En parallèle, la santé mentale devient un véritable sujet de société, à tous les niveaux, accentué notamment par les conséquences de la crise sanitaire. Cela concerne non seulement les décideurs, mais aussi la population en général, y compris les étudiants en santé et en médecine. Les problèmes sont réels mais la parole, également, se libère, ce qui fait qu’on en parle bien davantage. Les réseaux sociaux jouent un rôle crucial en permettant notamment une circulation plus fluide de ces sujets et la possibilité pour chacun(e) de partager son vécu et ses expériences personnelles…
Pour revoir la « Nuit des jeunes en santé », cliquez sur ce lien.