Anesthésiste-réanimatrice à Paris, Dr Marie-Christine Kayal-Becq s’engage depuis longtemps sur le sujet de la souffrance au travail. Huit ans après le tournage du documentaire retentissant de Jérôme Lemaire, dont elle est l’une des protagonistes principales, elle nous parle aussi naturellement des difficultés de l’hôpital que des raisons d’espérer pour les nouvelles générations de médecins…
Quel a été votre cheminement pour participer à la création de la Commission de vie hospitalière au sein de l’hôpital Saint-Louis ?
Quand je suis arrivée à l’hôpital, en 1992, je me suis très vite engagée au sein du Conseil de bloc. Puis j’ai pris conscience des problèmes de fond lorsque j’ai lu le livre de Pascal Chabot, Global Burn Out, qui racontait des situations que j’avais l’impression de vivre ou de côtoyer au quotidien. J’ai commencé à m’intéresser à la sociologie du travail avec l’impression qu’il y avait quelque chose qui ne tournait pas rond… J’ai formalisé cet engagement en créant en 2017 une commission de vie hospitalière avec un médecin de santé publique pour améliorer les conditions d’exercice des praticiens, au jour le jour. Concrètement, nous nous réunissons tous les 2 à 3 mois en petit groupe pour parler des difficultés que rencontrent les soignants et pour essayer de trouver des solutions adaptées. C’est vraiment une cellule d’écoute. À l’échelle de l’hôpital il y a plein de choses qui peuvent se régler sans qu’on ait besoin de demander au Ministre de la Santé !
À l’échelle de l’hôpital il y a plein de choses qui peuvent se régler sans qu’on ait besoin de demander au Ministre de la Santé !
Quelles évolutions avez-vous constaté concernant les conditions d’exercice des praticiens ?
Quand j’ai démarré ma carrière, il n’y avait pas de repos de sécurité, c’est arrivé un peu tard en France malgré l’évidence de ses bienfaits. C’était une autre époque et il y a eu des avancées importantes. Mais, on parallèle, on a eu la loi HPST avec la tarification à l’activité, ce qui signifie très concrètement qu’on doit faire de l’acte pour apporter de l’argent et assurer le fonctionnement de l’établissement. Cela a contraint à l’augmentation de l’activité et on a été les premiers, dans ma spécialité, à rentrer en crise. Clairement, nous n’étions pas assez nombreux, les chirurgiens ont augmenté leur activité mais nous ne pouvions plus suivre… Les tensions se sont ainsi développées tout comme l’impression, assez latente, de mal faire son travail… C’est un cercle vicieux.
Pensez-vous que les jeunes générations sont mieux préparées à ces « risques psycho-sociaux » ?
Oui, l’omerta se lève progressivement, notamment sur le harcèlement moral et sexuel. Déjà, on en parle et les nouvelles générations sont globalement mieux informées, mieux sensibilisées à la bien traitance professionnelle ou aux problématiques de management. Aujourd’hui il y a 1000 et 1 podcasts qui parle de ça. Les jeunes sont mieux formés tandis que les « dinosaures », qui ont perpétrés ces comportements, sont sur le départ ou ont déjà quitté l’hôpital… À eux de s’approprier, maintenant, ces nouveaux enjeux. Quand on est médecin, on est toujours en situation de manager une petite équipe et on doit être toujours attentif aux personnes avec qui l’on travaille. Il faut faire émerger et développer l’intelligence collective. Je crois beaucoup à cela et on l’a vu, particulièrement, avec le COVID : quand il y a des crises et que tout se casse la figure, on aboutit toujours à des solutions ! C’est sûrement ce qui se passera aussi avec les problématiques de la souffrance au travail à l’hôpital.
Quand on est médecin, on est toujours en situation de manager une petite équipe et on doit être toujours attentif aux personnes avec qui l’on travaille. Il faut faire émerger et développer l’intelligence collective.
Que diriez-vous à un interne qui souhaite s’engager dans une carrière à l’hôpital malgré les difficultés et les risques?
D’abord, il faut rappeler que c’est un métier passionnant, profondément humain et très vivant ! Moi, je suis passionnée par mon travail et cela a toujours été mon moteur professionnel. Exercer à l’hôpital, c’est gérer la précarité des patients les plus fragiles et prendre en charge les situations les plus complexes ! Être médecin hospitalier, cela nécessite de prendre en compte ces deux dimensions mais, quand on les a accepté, cela donne aussi beaucoup de sens à sa vie professionnelle. Les statuts ont également beaucoup évolué, il y a plus de souplesse. Si un praticien veut démarrer à plein temps puis basculer à 20% pour s’occuper de ses enfants, c’est beaucoup plus simple aujourd’hui. La sécurité des soins qu’on apporte aux patients s’est aussi améliorée, j’ai vraiment vécu cela de près et c’est impressionnant. Bref, il y a plein de défis pour la nouvelle génération, le tout est de rester ouvert sur les autres et, surtout, de rester optimistes. Tout n’est pas crise, malgré ce qu’on a l’impression d’entendre chaque jour : il y a des résistants et il faut inventer de nouvelles pistes pour améliorer ce qui doit l’être !
Il y a plein de défis pour la nouvelle génération, le tout est de rester ouvert sur les autres et, surtout, de rester optimistes. Tout n’est pas crise, malgré ce qu’on a l’impression d’entendre chaque jour : il y a des résistants et il faut inventer de nouvelles pistes pour améliorer ce qui doit l’être !
Voir le documentaire « Dans le ventre de l’hôpital«
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